Pour financer de nouvelles mosquées, le gouvernement a lancé l’idée d’une contribution négociée sur l’économie du halal. Un marché évalué à plusieurs milliards d’euros, en expansion rapide.

Concilier la culture, l’identité, la religion voire le goût et la gastronomie. C’est l’enjeu d’un marché halal en pleine forme avec, en France, la première population musulmane d’Europe. Mais ces temps-ci, c’est sa dimension financière qui fait l’objet de toutes les attentions.

Début août, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a ressorti l’idée d’une « contribution volontaire et négociée » de la filière halal pour financer la construction de lieux de culte musulmans et la formation théologique des imams, sans recours à des fonds étrangers. Une piste également évoquée récemment par Jean-Pierre Chevènement, le président pressenti de la Fondation des oeuvres pour l’islam de France. Elle a aussi ses partisans à droite, à l’image du président du Modem, François Bayrou, ou de Nathalie Kosciusko-Morizet. Et est préconisée par l’Institut Montaigne dans son rapport sur l’islam de France présenté la semaine dernière.

Pas de délimitation rigoureuse
Mais que désigne au juste ce mot « halal  » ? En arabe, il signifie « licite « . Mais cette notion n’a pas de délimitation rigoureuse. Pour une raison simple : les textes religieux ne dressent pas une liste précise d’aliments halal (autorisés), mais posent plutôt des interdits (haram) : le porc, le sang, l’alcool. En théorie toutefois, l’abattage doit être réalisé par un musulman qui invoque Allah pendant le sacrifice, l’animal étant égorgé et saigné vivant, la tête tournée vers la Mecque. Une dérogation au règlement européen qui impose l’étourdissement préalable de la bête.
Dans les faits, derrière l’étiquette halal, on trouve de multiples labels. Et, «les enjeux financiers liés au marché halal sont tellement importants que l’ensemble de la filière maintient son opacité, »relève la sénatrice Nathalie Goulet, co-auteur avec André Reichardt d’un rapport d’informationsur «l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France » rendu public en juillet dernier.
Au delà des montants en jeu, le grand flou autour des pratiques et des procédures de contrôle arrange bien du monde. En principe comme l’explique Jean-Daniel Hertzog, à la tête d’Isla Délice, fabricant de charcuterie, plats cuisinés et surgelés halal, « les contrôles doivent s’effectuer de l’animal vivant au produit fini .»

Pas de norme
Le problème, c’est qu’en France, aucune norme n’encadre le marché de la certification. Pis, n’importe qui peut créer un organisme de contrôle, l’agrément d’une instance religieuse n’étant pas requis ! Résultat, les acteurs se sont multipliés sur ce créneau sur lequel les mosquées de Paris, Lyon et Evry, tiennent une place de poids au travers de partenaires. Et d’un organisme à l’autre, les cahiers des charges varient selon une lecture plus ou moins stricte des textes religieux. Ainsi, certains acceptent l’étourdissement préalable de la bête, d’autres pas.
Ce qui convient à certains, comme cet industriel qui a choisi le certificateur lié à la mosquée d’Evry « parce qu’il accepte une anesthésie de l’animal avant qu’il soit saigné.  » « Il n’était pas question qu’il n’y en ait pas, cela n’aurait pas été compatible avec la charte de notre entreprise ! » dit-il, précisant: « ce contrôle a un coût : 2 centimes pour un poulet et 5 centimes pour une dinde ! »
Dans les abattoirs, «pour tout ce qui est halal, je n’hésiterais pas à dire que c’est un joli bordel,» a résumé devant les députés de la commission d’enquête sur les abattoirsJean-Paul Bigard, le patron du premier transformateur français de viande. L’explication : depuis les années 90, les mosquées, de Lyon, de Paris et d’Evry,sont habilitées par les pouvoirs publics à délivrer les cartes de sacrificateurs, moyennant rémunération, une invention française. Mais, a-t-il souligné, « l’uniformisation est loin d’être la règle. »
Confronté à cette réalité floue du halal, le distributeur Système U se veut vigilant : « on sélectionne nos fournisseurs en fonction de leur réputation auprès du consommateur car toutes les marques n’ont pas toutes la même valeur pour les musulmans», dit-il. Une exigence d’autant plus nécessaire qu’une foule de produits étiquetés halal n’ont jamais été certifiés….

Réglementation non adaptée
Très active sur Internet et les réseaux sociaux, la communauté musulmane est prompte à s’interroger sur la validité d’un certificat. Ou à dénoncer un comportement indélicat. Il y a cinq ans, Herta, en avait fait les frais. Après la découverte de porc dans ses saucisses, la marque de Nestlé avait arrêté sa production halal. En début d’année, c’est Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris, qui a dû reconnaître les manquements de son partenaire, la Société française de contrôle de la viande halal.
Dans cette affaire, le problème est que les instances musulmanes son divisées avec des surenchères entre les différents représentants de l’Islam
Hanen Rezgui Pizette, la présidente de l’Association de sensibilisation, d’information et de défense du consommateur musulman (ASIDCOM), ne décolère pas : «la réglementation n’est pas adaptée aux besoins des musulmans. Il est quasiment impossible de trouver une viande conforme à nos pratiques religieuses. Il est impossible d’avoir une traçabilité de la viande, » s’agace -t-elle. Pour elle, le marché de la volaille est emblématique des dérives : « 95 % des volailles sont abattues de façon mécanique et sous électronarcose « .
«Dans cette affaire, le problème c’est que les instances musulmanes sont divisées, avec des surenchères entre les différents représentants de l’Islam. Cela explique l’incapacité de s’entendre sur une norme unique, » analyse Bernard Godard, ancien du bureau du culte au ministre de l’intérieur. Mise à mal par une partie de la communauté musulmane française, l’idée d’une norme unique à l’échelle européenne a elle aussi fait long feu.
« Tant que le consommateur achète les produits halal, personne au sein de la filière n’a intérêt à changer ses pratiques » renchérit Florence Bergeaud-Blackler chargée de recherche (CNRS) à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman d’Aix-Marseille-Université.

Marché lucratif
Et pour cause. Le créneau est lucratif. On ignore le poids réel du marché du halal en France. La seule estimation disponible a été réalisée en 2010 par le cabinet Solis, spécialisé dans les études marketing ethniques, qui l’a évalué à 5,5 milliards d’euros, dont 1 milliard pour les restaurants, avec une expansion rapide de près de 10 %
Les facteurs de dynamisme restent nombreux. D’abord, la France compte entre 4 et 5 millions de musulmans qui à 70 %, achètent « toujours  » de la viande halal, selon le sondage réalisé par l’Ifop et l’Institut Montaigne. Et ils ne sont pas les seuls à acheter des produits alimentaires halal. Selon une étude du Credoc, un quart des français en ont consommé en 2013. «Ce marché touche une clientèle qui ne vient pas que pour le halal. Parfois, c’est simplement que la boucherie halal est le commerce de proximité du quartier. Par ailleurs, les prix y sont souvent moins élevés que dans les boucheries traditionnelles, » explique Abbas Bendali, le fondateur de Solis.
« C’est l’un des premiers marchés en termes de croissance »
Le référencement d’une offre halal par la grande distribution a encore accru leur visibilité. Dans la foulée, « beaucoup de clients ont migré de leur boucherie de quartier halal au supermarché du coin, » indique-t-il. Et, le champ du halal n’a cessé de s’étendre. Viande (85 % des ventes), charcuterie, plats cuisinés, fonds de sauce, bonbons, cosmétiques et même produits pharmaceutiques… Si Carrefour Casino ou Leclerc n’ont pas voulu répondre à nos questions, chez Système U, un peu plus bavard, on se félicite d’être allé sur ce créneau. « C’est l’un des premiers marché en termes de croissance. D’ailleurs, de plus en plus de magasins veulent avoir une offre « .
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« Cette explosion du halal est l’un des phénomènes les plus significatifs des transformations et de l’affirmation identitaire de l’Islam de France  » écrit le spécialiste du Moyen-Orient et de l’islam en France, Gilles Kepel, dans « Quatre-vingt treize « . Mais avec une certaine ambivalence, l’acheteur, souvent issu de la deuxième ou troisième génération de l’immigration, réclame une quiche avec des lardons- halal bien sûr ! – ou un boeuf bourguignon certifié lui aussi..

Marques spécifiques
Le marché est tenu par les producteurs conventionnels de la viande ou de produits carnés comme Bigard ou les volaillers Doux ou LDC qui ont ainsi pu exporter leurs carcasses vers des pays musulmans très demandeurs. A partir des années 90, de multiples acteurs spécialisés ont éclos : parmi les plus importants, Zaphir propriétaire de la marque Isla Délice créée par Jean-Daniel Hertzog, industriel de confession juive, leader de la charcuterie halal, qui revendique un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros.
Ou encore Délice Mondial et Isla Mondial, dans le giron du conglomérat Cevital, détenu par Issad Rebrab, première fortune d’Algérie. Attirés par la croissance, des groupes alimentaires traditionnels tels Pierre Martinet ou Fleury Michon se sont aussi attaqués à ce marché suivis par des enseignes de la distribution comme Carrefour ou Casino qui ont lancé leur marque propre.
« Il faut que la filière accepte d’être plus transparente pour savoir qui paie et combien »
Dans la restauration, Quick, fait lui aussi le pari depuis 2009, avec une cinquantaine de restaurants (10 % de son parc) servant exclusivement des burger halal. Ce qui lui réussit plutôt : davantage fréquentés par des familles que le reste de la chaîne, ces Quick Halal affichent un ticket moyen plus élevé que ses autres restaurants…

Marges de développement
C’est dans les grands centres urbains où se concentre la population musulmane que la consommation halal est la plus intense. Dans la couronne parisienne, en région PACA ou Rhône-Alpes. Dans le Nord également. Mais « l e phénomène tend à gagner l’Est de la France, le Languedoc Roussillon  » relève le patron de Solis. A écouter Fleury Michon, l’avenir s’annonce prometteur pour les industriels présents sur le créneau. « l’offre halal n’est présente que dans 75 % des hypermarchés et 40 % des supermarchés  » explique le numéro deux de la charcuterie halal. Soit de belles marges de développement en perspective pour ce marché de plusieurs milliards d’euros…
Dans ce contexte, l’idée de profiter de cette manne pour financer les mosquées, les écoles musulmanes en effectuant un prélèvement sur l’assiette du halal apparaît tentante. Un vieux serpent de mer. Sauf qu’aujourd’hui tout le monde semble avoir compris qu’une taxe fiscale serait inconstitutionnelle, au regard de loi de 1905 notamment… Le projet d’une « contribution négociée  » a-t-il plus de chances d’aboutir ? « Pour cela, il faut que la filière accepte d’être plus transparente pour savoir qui paie et combien, » martèle Nathalie Goulet. Un chantier complexe et de longue haleine, qui laisse nombre d’experts sceptiques…

Source : www.lesechos.fr

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